Le point de départ : une sorte de triangulation, toute personnelle, et spatio-temporelle : Pétrarque, Liszt, Fontaine-de-Vaucluse. Je m'explique : trois pièces des Années de pèlerinage de Liszt sont inspirées de 3 Sonnets de Pétrarque - trois pièces merveilleuses, parmi mes favorites dans ce recueil. Pétrarque vécut de longues années à Fontaine-de-Vaucluse, tourmenté par son amour impossible pour Laure, qui lui inspira son monumental Canzaniere, recueil de 366 poèmes, dont les sonnets choisis par Liszt.
Fontaine-de-Vaucluse se trouve à une vingtaine de minutes de voiture de ma résidence actuelle. C'est là que prend source la Sorgue (René Char, Boulez...) dans une résurgence spectaculaire, au fond d'un val fermé par la montagne : la vallée close, vallis clausa en latin, en provençal vau-clusa (fontaine étant à prendre dans son sens étymologique de source, fons en latin).
Pétrarque et Liszt, dans leur domaines et époques respectifs, furent de grands innovateurs. La poésie de Pétrarque surprend par son romantisme et l'expression, parfois paroxystique, des sentiments, le piano de Liszt surprend par son audace timbrale et harmonique - et le bouillonnement de la Sorgue à sa résurgence surprend dans un paysage provençal accoutumé à plus de calme et moins d'humidité...
Les textes de la pièce sont donc tirés des trois sonnets choisis par Liszt : numéros 47 (Benedetto sia 'I giorno...), 104 (Pace non trovo...), et 123 (I' vidi in terra...). Mais les textes sont entremêlés jusqu'à un certain point, et quelques strophes n'ont pas été utilisées (voir les textes en annexe). Les poèmes sont en toscan ancien, qui diffère légèrement de l'italien moderne. lls sont écrits en vers endécasyllabes, qui s'articulent sur les accents toniques de la langue italienne (ou toscane). Ce qui entraîne quelques conséquences pour la prosodie, et donc le rythme (par exemple, si un mot terminé par une voyelle - ce qui est généralement le cas en italien, sauf s'il y a élision - est suivi d'un mot commençant par une voyelle, les deux syllabes sont réunies et comptent pour un seul pied). Je me suis efforcé, sans systématisme, de tenir compte de ces particularités dans l'écriture vocale.
ll n'y a pas de référence musicale précise aux pièces de Liszt, mise à part l'introduction rythmique des cordes dans les sections basées sur Pace non trovo, qui pourrait rappeler les mesures introductives du 104ème Sonnet.
Tristan Murail / Partitions classique / Ensemble et orchestre / Conducteur / LEMOINE